Comme nous l’avons expliqué dans une récente actualité, la Corse a récemment ouvert sa troisième centrale solaire dans le cadre de son projet « Corsica Sole ». (Article « Innovation photovoltaïque Corse »)
L’originalité de cette centrale photovoltaïque, située en Haute-Corse, à Giuncaggio, est de coupler production d’électricité et stockage : on a donc d’une part des panneaux photovoltaïques d’une puissance de 5 MWc (Mégawatt-crête), et d’autre part des batteries lithium-ion qui assurent une capacité de stockage de 7,5 MWh.
Ce couplage apporte une réponse pertinente au problème de l’intermittence : il permet de fournir de l’électricité au moment où le besoin est le plus fort, entre 18h et 20h, alors que les panneaux ne produisent pas.
Dans notre précédente actualité, nous nous demandions si ce qui fonctionne en Corse pouvait être transposé en métropole : pourquoi la France entière ne s’alignerait-elle pas sur ce modèle pour développer sa production d’énergie photovoltaïque ?
Quelles seraient les difficultés liées au modèle Corse s’il était transposé à l’échelle de la France ?
La solution adoptée à Giuncaggio soulève plusieurs problématiques :
1. Une solution partielle à l’intermittence
La part de la production journalière qui peut être stockée varie entre 27 % au maximum d’ensoleillement et 100 % au minimum d’ensoleillement, et est d’environ 40 % en moyenne. En période hivernale, la production est faible et l’électricité produite peut donc être largement pilotée[1] en utilisant les batteries, mais en période estivale, l’électricité produite n’est que très partiellement pilotable.
À l’échelle du pays, si la part de la production photovoltaïque non pilotable devient trop élevée, elle ne pourra pas être consommée. C’est la raison pour laquelle les scénarios énergétiques comportant une part importante d’électricité intermittente prévoient de la transformer en hydrogène par électrolyse, et, au prix d’une réaction chimique supplémentaire appelée méthanation, en méthane. Ce méthane pourrait ensuite être injecté dans le réseau de gaz ou stocké, sachant que le gaz se stocke assez facilement contrairement à l’électricité.
Même si l’idée d’utiliser les énergies intermittentes pour produire de l’hydrogène puis du méthane séduit l’opinion et les politiques, on rappellera que ce scénario est loin de faire l’unanimité dans le milieu scientifique, notamment à cause des pertes d’énergie dans le processus de méthanation, qui rend globalement la solution assez peu performante.
2. La rentabilité
Par ailleurs, à l’échelle de la France, se poserait la question de la rentabilité.
D’une part, il faut intégrer le coût du stockage pour l’électricité pilotable.
D’autre part, l’électricité photovoltaïque ayant priorité d’accès, elle vient se substituer à d’autres moyens de production, en général des centrales nucléaires. Or les coûts de fonctionnement d’une centrale nucléaire sont surtout des coûts fixes, le coût du combustible ayant une part peu importante. Si l’électricité photovoltaïque vient remplacer de l’électricité que les centrales nucléaires auraient pu produire, il faut à la fois payer l’électricité photovoltaïque et les coûts fixes des centrales qui auraient pu produire cette électricité à un coût marginal très faible. Et donc la rentabilité de la production d’électricité photovoltaïque à l’échelle de l’hexagone serait très faible.
Enfin, RTE se doit d’assurer la sécurité d’approvisionnement du réseau et doit pouvoir compter sur des moyens de production pour assurer les pointes de consommation, qui ont typiquement lieu en hiver entre 19h et 20h, à un moment où la production photovoltaïque est nulle.
Seule l’électricité photovoltaïque stockée peut être utilisée pour couvrir ces pointes, et d’autres moyens de production pilotables doivent être disponibles. Si ces moyens de production pilotables ne sont plus des centrales nucléaires, il est vraisemblable qu’il s’agira de centrales à gaz, qu’il faudra construire, qu’on ne fera fonctionner que très peu d’heures par an pour ne pas trop augmenter les émissions de CO2, et pour lesquelles il faudra rémunérer les investisseurs. Il faudra donc à la fois payer l’investissement dans le photovoltaïque et dans les moyens de production qui permettront de couvrir la consommation aux heures de pointe.
L’introduction massive de photovoltaïque aurait donc pour effet inévitable d’augmenter le prix de l’électricité.
3. La matière première
L’un des problèmes majeurs liés à l’utilisation de batteries lithium-ion est la matière première utilisée : le lithium. Celle-ci est de plus en plus utilisée pour les batteries de nos appareils électroniques mais également pour celles des voitures électriques, vouées à remplacer l’intégralité du parc automobile d’ici 2050.
Le lithium étant une ressource non renouvelable, on peut imaginer l’impact qu’aurait l’utilisation massive de batteries lithium-ion à l’échelle du territoire français voire européen : hausse importante du prix et risque de pénurie accélérée de la matière première.
Conclusion
L’étude de ces différents points montre que l’utilisation de l’énergie photovoltaïque suivant le modèle corse ne peut se décalquer sur l’intégralité du territoire français, ceci pour des raisons économiques, technologique mais aussi de pénurie potentielle de la matière première (lithium).
Ceci n’empêche pas que, à l’échelle de la Corse, la solution mise en œuvre présente de réels avantages, notamment parce qu’elle permet de produire une énergie plus propre et de manière plus indépendante.
Globalement il est nécessaire de comprendre que la transition énergétique d’un territoire ou d’un ensemble de territoires ne peut se faire qu’à l’étude au cas par cas des spécificités locales. Chaque collectivité, en considérant les faiblesses et les forces propres à son territoire, doit trouver comment elle peut participer, à son échelle, à l’effort collectif pour sortir de l’urgence climatique.
[1] « Piloter » une production signifie pouvoir la faire varier sur commande.